Voilà un film (un peu à l'image de son cinéaste) qui me travaille depuis longtemps et dont j'ai toujours la plus grande peine du monde à savoir ce que j'en pense. Tour à tour fascinant et horripilant, Né un 4 juillet réussit la prouesse d'être à la fois intime et spectaculaire, subtil et pompier, nostalgique et lucide, touchant et cynique.
Dès que le cinéaste de Platoon sort la grande caisse et veut marquer au crayon gras de quel côté se situent les méchants, il lasse vite (seul Abbie Hoffmann et son incroyable verdeur parviennent à sauver de l'amidon la séquence de répression au campus de Syracuse, la mère de Ron en épouvantail maccarthyste fait certes froid dans le dos mais elle demeure une caricature). Globalement, la dernière partie du film, finalisant la prise de conscience de Ron Kovic déçoit (comme si Stone avait eu peur d'être avalé par son film et qu'il avait donné des grands coups de ciseaux dans le montage pour ne pas dépasser la durée fatidique des 3 heures), trop schématique avec ses grandes tirades anti-Nixon. La première partie, superbement filmée (ah, les pollens en suspension lorsqu'on découvre le lycée de Massapequa) n'est guère plus satisfaisante. Sa vision de l'Amérique d'Eisenhower et de Kennedy est tellement idéalisée qu'elle parait factice accumulant les clichés visuels (la prom night) et auditifs (l'habituelle enfilade de tubes vintage). Mais heureusement, la demie-heure au Vietnam, percutante, idéalement montée et surtout le retour de Ron à Massapequa (autour de l'heure de film) découvrant lentement combien l'Etat américain l'a abusé ainsi que des dizaines de milliers d'autres G.I et comment le regard de ses compatriotes sur lui a changé montrent qu'Oliver Stone peut être un cinéaste sensible et même subtil(oui, vous avez bien lu).
Lorsque Ron retrouve sa chambre (voir photogrammes ci-dessus), rien n'a changé ou presque. Son père a pris bien soin de disposer près de son bureau tous les objets susceptibles de lui rappeler son enfance heureuse (la bannière des Yankees, un buste de cow boy) comme pour se faire pardonner de l'avoir faire grandir trop vite en l'envoyant au casse-pipe (même si Ron était volontaire). Et dans un très beau plan fixe (le surcadrage accentuant le peu de marge de manoeuvre dont a disposé Ron jusque là), Eli Kovic (le père de Ron, admirable Raymond J. Barry), d'abord dans l'embrasure de la porte ne sachant que faire de ses membres, vient donner l'accolade à son fils. Et, dans une terrible inversion des rôles, c'est le fils handicapé qui semble donner l'absolution à son père submergé par l'émotion. Lorsqu' Eli se relève, laissant Ron seul dans sa chambre, on découvre punaisée au mur une photo de Mickey Mantle, ce home runner mythique que Ronnie ne sera jamais. Dans ce beau moment d'intimité familiale sans musique et quasiment sans dialogues, Oliver Stone dit plus de choses sur l'Amérique de la fin des sixties, sur cette mauvaise conscience de la génération qui a laissé faire le Viet Nam que dans tous les slogans et les pancartes de la fin du film.
dimanche 17 novembre 2013
jeudi 26 septembre 2013
Terms of endearment (James L.Brooks, 1982)
Les années 80 furent souvent cruelles pour les actrices hollywoodiennes. Il fallait la sensualité insensée de Barbara Hershey pour faire oublier le scandale capillaire qui lui tient lieu de coiffure dans Hannah et ses soeurs et si Cronenberg a fait mouche dans The fly, on n'en dira pas autant du merlan de Geena Davis.
Dans Terms of endearment, Debra Winger est en permanence attifée comme l'as de pique, coiffée avec un rateau et maquillée à minima. Et c'est justement cette absence d'artifices qui fait qu'on craque pour son personnage d'Emma Horton. Naturelle, spontanée, fantasque, elle est épatante dans ce rôle de trentenaire désorientée, qui, coincée entre un mari absent, une mère abusive et des enfants exigeants, veut simplement vivre. Dans une très chouette séquence au restaurant (assez bas de gamme au vu du client derrière elle s'échinant sur le ketchup), Emma écoute Sam, son futur amant, lui raconter ses déboires conjugaux (sa femme refuse de faire l'amour car elle souffre des lombaires). Son empathie amusée, l'affection qu'elle éprouve pour ce grand dadais aux mains moites sont admirablement rendues. Le film est ce qu'il est, une modeste chronique familiale, plombée par une musique envahissante et une issue terriblement lacrymale mais, de Parenthood à About Schmidt en passant par Fried green tomatoes, le rédacteur de cette notice avoue ne pas bouder son plaisir à la contemplation de cette amérique middle class et provinciale. Surtout quand, comme ici, le trait vise juste.
Dans Terms of endearment, Debra Winger est en permanence attifée comme l'as de pique, coiffée avec un rateau et maquillée à minima. Et c'est justement cette absence d'artifices qui fait qu'on craque pour son personnage d'Emma Horton. Naturelle, spontanée, fantasque, elle est épatante dans ce rôle de trentenaire désorientée, qui, coincée entre un mari absent, une mère abusive et des enfants exigeants, veut simplement vivre. Dans une très chouette séquence au restaurant (assez bas de gamme au vu du client derrière elle s'échinant sur le ketchup), Emma écoute Sam, son futur amant, lui raconter ses déboires conjugaux (sa femme refuse de faire l'amour car elle souffre des lombaires). Son empathie amusée, l'affection qu'elle éprouve pour ce grand dadais aux mains moites sont admirablement rendues. Le film est ce qu'il est, une modeste chronique familiale, plombée par une musique envahissante et une issue terriblement lacrymale mais, de Parenthood à About Schmidt en passant par Fried green tomatoes, le rédacteur de cette notice avoue ne pas bouder son plaisir à la contemplation de cette amérique middle class et provinciale. Surtout quand, comme ici, le trait vise juste.
dimanche 15 septembre 2013
Speed (Jan de Bont, 1994)
Deux plans m'ont frappé dans l'"hypertrophié" * Speed de Jan de Bont. Ce ne sont ni le saut dans le vide du bus explosif (qui, et c'est fort risible, se cabre tel Tornado avant de franchir l'obstacle) ni la rencontre incandescente entre le bus vide et l'avion cargo de la Pacific Courier Freight. Non, le premier se situe au début du film lorsque Jack(Keanu Reeves) et Harry (Jeff Daniells) s'emploient à évacuer les 13 occupants d'une cage d'ascenseur sur le point de s'écraser au sol. Les femmes ayant la priorité et en particulier celles qui disposent d'une belle plastique, les deux policiers anti-terroristes ne traînent pas à empoigner à pleines mains les charmantes otages. Dans sa précipitation (bien compréhensible, le câble retenant la cabine étant en train de lâcher), Jack relève subrepticement la robe d'une des jeunes femmes et laisse entrevoir son charmant postérieur à peine couvert d'une fine culotte. Dans le commentaire audio, Jan de Bont parle d' "Happy accident". Une surprise inattendue dans ce film qui en ménage finalement assez peu, au moins dans son casting (Reeves mortellement ennuyeux comme toujours(la comparaison avec le Bruce Willis de Die Hard où même le Mel Gibson de Lethal Weapon est cruelle), Sandra Bullock, minaudante comme toujours et Dennis Hopper sauvant parfois les meubles mais pas toujours).
Autre "happy accident", le plan où Jack rattrape le bus pris dans un embouteillage afin d'alerter le chauffeur. Jack frappe dans la vitre qui se fissure instantanément. Là non plus, le script n'avait rien prévu de tel mais le plan en plongée de Jack hurlant au chauffeur de le laisser entrer est évidemment rendu plus saisissant par la présence des éclats sur la vitre. Jack montre là à la fois sa détermination et sa force musculaire. Des muscles, du tonus, ce film n'en manque certes pas. Mais guère d'ambigüités et guère d'émotions.
* : Pour reprendre la terminologie de Jocelyn Manchec
Autre "happy accident", le plan où Jack rattrape le bus pris dans un embouteillage afin d'alerter le chauffeur. Jack frappe dans la vitre qui se fissure instantanément. Là non plus, le script n'avait rien prévu de tel mais le plan en plongée de Jack hurlant au chauffeur de le laisser entrer est évidemment rendu plus saisissant par la présence des éclats sur la vitre. Jack montre là à la fois sa détermination et sa force musculaire. Des muscles, du tonus, ce film n'en manque certes pas. Mais guère d'ambigüités et guère d'émotions.
* : Pour reprendre la terminologie de Jocelyn Manchec
samedi 1 septembre 2012
Le désordre et la nuit (Gilles Grangier, 1958)
Avant de se ranger des bagnoles et de fermer à double-tour son pyjama, le Dabe mettait les bouchées doubles rayon emballage de minettes en cette fin des années cinquante. Après Nini et "Clo" (Françoise Arnoul), avant Yvette Maudet (Brigitte Bardot), Gabin séduisait Lucky Frider (Nadja Tiller, 23 ans dans le film et 28 dans la réalité), un quart de siècle plus jeune que lui quand même. Cette ancienne Miss Autriche n'est pas tout à fait du calibre de la môme Françoise. Elle minaude pas mal (bon, le rôle s'y prête il faut dire) et les séquences de manque font aujourd'hui sourire ( le sympathique Gilles Grangier n'ayant pas toujours la patte légère). Elle est bien meilleure dans les scènes d'hôtel avec Valois (Gabin) où, en le mettant face à ses contradictions, elle fait vaciller ses certitudes.Celui-ci, pour l'une des dernières fois, prend des libertés avec la morale bourgeoise. Il boit pendant le service, bâcle l'enquête, fréquente des rades interlopes, et enfin s'amourache d'un suspect, junkie teutonne (Audiard dit "schleue") de surcroît. Six mois plus tard, après le scandale suscité par En cas de malheur, Gabin promet qu'on ne le verra plus au cinéma dans une situation compromettante et mettra la pédale douce sur les scènes de baiser et les relations adultérines (il ne voulait pas choquer ses enfants désormais en âge d'aller au cinéma). Il se fige alors dans une posture de Pacha pantouflard dont le Noël Schoudler des Grandes familles représente l'archétype. Ce qui ne veut pas dire bien sûr que toute sa filmographie post-1958 soit inintéressante mais la dimension marlou du bonhomme disparaît à tout jamais.
Ce n'est pas le moindre charme de ce film de nous permettre aussi de retrouver la troupe des seconds rôles et des silhouettes qui gravitaient habituellement autour du "vieux" (sa "bande", quoi). L'inamovible Frankeur bien sûr, Robert Berri (en louche tenancier) et Jacques Marin dont les apparitions dépassent rarement la minute (on le voyait caresser en loucedé les fesses de Françoise Arnoul dans Des gens sans importance). Avec son éternelle moustache en brosse, il incarne ici un cafetier un rien fastidieux. J'admire la façon dont il réussit en moins de trente secondes à faire vivre son personnage. Il est vrai que la réplique de Gabin qui met fin à l'entretien donne une nette plus-value à la scène (Je vous la laisse découvrir dans l'extrait ci-dessous). Audiard, qui pouvait se montrer baroque dans de spectaculaires tirades savait aussi se montrer brillantissime quand il la jouait à l'économie (je pense en particulier au génial "à la cave" lorsque dans Le cave se rebiffe, le dabe répond à Lepicard (Blier) qui lui demande où exposer ses magnifiques croûtes).
mardi 28 août 2012
Des gens sans importance (Henri Verneuil, 1956)
Un routier anonyme sur la Nationale 10 entre Angoulême et Bordeaux. Il est tenu par Barchandeau, un ancien routier cul de jatte (Paul Frankeur au premier plan de dos). Celui-ci, comme Monsieur Seguin avec ses chèvres, ne parvient pas à conserver ses bonnes et cette fois-ci, c'est Clo (Françoise Arnoul échappant à son emploi habituel de garce) qui vient lui signifier son congé.
Gabin en 1956 n'avait pas encore fait le deuil des rôles d'amoureux transis marqués par la fatalité et son coup d'oeil vers Clo alors que son collègue (Pierre Mondy) est tout entier dans sa partie de babyfoot trahit un désir que 5 ans plus tard dans le choix de ses rôles il refoulera obstinément. Ce film, peut-être un des plus réussis de Verneuil (même s'il y manque la saveur des dialogues de Mélodie en sous-sol), cristallise le changement qui s'est opéré en lui depuis l'après-guerre. Le blond des cheveux est devenu gris-argenté, la silhouette s'est alourdie et l'ouvrier qui ne se laissait pas faire (le fameux "c'est ce qu'on verra" au début de La bête humaine) est obligé de quémander une place après avoir été licencié pour faute. Ce Gabin-là, à la croisée des chemins, vieillissant mais encore capable de se damner pour la môme Arnoul ou Bardot est peut-être mon préféré. Car même renfloué par le succès de Touchez pas au grisbi (Jacques Becker, 1954), le Gabin d'avant les années 60 garde de cette mélancolie propre aux victimes du destin, mélancolie jamais plus évidente que dans la très belle voix off qui précède la flash-back.
mercredi 25 janvier 2012
Dead Ringers (David Cronenberg, 1988)

David Cronenberg, cinéaste des apparences trompeuses, des faux-semblants (rarement titre traduit a vu aussi juste).
Un plan ambigu, à l'image des deux jumeaux Mantle. Est-ce un rideau cachant un lit nuptial ou un voilage isolant un patient dans une chambre d'hôpital ? Le maître canadien n'offre pas de réponse définitive. Beverly Mantle est certes alité suite à une surdose médicamenteuse mais son frère, Elliott, se tient à son chevet comme un amant auprès de sa maîtresse. Tout comme une partie de la pièce demeure dans la pénombre, Cronie reste dans l'équivoque. Vrais gynécologues d'avant-garde ou jumeaux régréssifs (les instruments dessinés par Beverly évoquent les premiers temps de l'obstétrique) obsédés par les organes mutants ? L'ombre déformée des barreaux du lit d'hôpital prennent une forme cauchemardesque à l'image des visions de Bev', assailli par le spectre d'une relation siamoise avec Elly. Au début du film, tout semble réussir aux deux frères. Les récompenses pleuvent sur leurs découvertes mais l'une de leurs patientes, Claire Niveau (quel nom, aussi perturbant que Bianca O'Blivion (Videodrome) ou Dan Keloid (Rage)!) en démasquant l'immaturité affective de la fratrie sera l'élément perturbateur qui fera vaciller le fragile équilibre psychique d'Elliott et de Beverly.
Film de sortie du genre pour Cronie mais sans doute encore trop perturbant pour les dizaines d'acteurs américains ayant refusé le rôle des jumeaux. La vision de Genevève Bujold (dont nous pleurerons éternellement la cinématographie rachitique) déchirant à pleine dent, telle une moderne succube l'abdomen commun des jumeaux "siamoisés" dans le rêve de Beverly, montre assez que Cronenberg avec Dead Ringers n'abdiquait en rien la radicalité de son inspiration.
lundi 19 décembre 2011
Imitation of life (Douglas Sirk, 1959)

Dans le plan ci-dessus, Sarah-Jane Johnson qui a changé son identité en Miss Linda, est devenue danseuse dans une revue "légèrement" déshabillée. Sa mère, qui sait la répugnance de sa fille à la voir s'immiscer dans sa nouvelle vie, n'a pas décliné son identité avant de frapper à la loge de Sarah-Jane. Malade, elle vient lui signifier qu'elle pourra toujours compter sur elle quoiqu''il arrive. Le miroir devant qui elle s'apprête à se démaquiller, renvoie à Sarah-Jane l'image de sa mère, elle vraiment noire de peau, image qu'elle cherche à effacer de sa vie ("I'm white, I'm white" lui assène-t-elle).
Cette séquence reflète parfaitement le malaise que j'ai ressenti tout au long du film, malaise autant imputable au matériau du film (le roman de Fannie Hurst) qu'à Sirk lui-même puisque je l'ai éprouvé de façon quasi identique durant le visionnement de la première mouture d'Imitation of life (John Stahl, 1934). Sous couvert de dénoncer les travers de la ségrégation (encore bien réelle au moment où le film est tourné), Imitation of life, montre que toute résistance mène à une impasse et que seule l'acceptation de sa condition permet la sérénité. Sans être un ardent révolutionnaire, on peut quand même se dire qu'en 1959, avoir pour seule ambition d'être une bonne dévouée et de réussir ses funérailles pouvait passer au mieux pour ambigu. Et c'est là pour moi que le bât blesse dans ce film. Sirk épouse le point de vue du personnage d'Annie, personnage qui ne trouve son épanouissement que dans une doucereuse servilité, qui est tellement attaché à ses chaînes, qu'elle ne comprend pas ou fait mine de ne pas comprendre qu'on puisse vouloir s'en débarrasser. Ce sempiternel sourire résigné qui barre son visage finit par m'inspirer une certaine lassitude pour ne pas dire un léger agacement. Dommage car Sirk demeure un admirable portraitiste de l' Amérique des années 50 (toute la séquence d'introduction sur la plage) et sait composer des décors saisissants (la rue louche du premier cabaret de Sarah-Jane).
Non, Imitation of life ne remplacera pas All That Heaven allows dans mon panthéon "Sirkien", qui proposait une figure féminine autrement riche et complexe qu'Annie ou Lora.
P.S : Il faut absolument voir le film dans l'édition collector de Carlotta vidéo pour ainsi pouvoir se délecter de l'analyse enthousiaste et passionnante de Sam Stagg.
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