mardi 26 avril 2011

Miracle on 34th street (George Seaton, 1947)



Pas la peine de biaiser sur ce coup-là ! Je me suis fait avoir comme un bleu !
Même si la magie de noël au cinéma a plutôt tendance à me déprimer, Miracle sur la trente-quatrième rue visionné par une belle journée ensoleillée d'avril m'a donné une sacré pêche. Le film a beau fourmiller de détails déplaisants (l'avocat de Kris Kringle (Santa Claus) n'hésite pas à faire témoigner le fils du District Attorney pour discréditer son adversaire mettant la parole de l'enfant au dessus de celle de l'adulte; Macy's (le grand magasin où Mr Kringle est employé) ne défend son père noël que parce qu'il est une affaire rentable), il n'en est pas moins parfaitement rythmé et très plaisant à suivre. La responsabilité principale en incombe à une distribution de premier ordre où brille avant tout l'oscarisé Edmund Gwenn en père noël à la remarquable conscience professionnelle (il n'hésite pas à se faire tirer la barbe pour montrer qu'il est vraiment Santa Claus). Il est aussi pertinent dans ce rôle qu'en prof de philo désabusé dans Apartment for Peggy (un an plus tard et toujours sous la direction du même George Seaton). Je me demande si dans son contrat, il n'était pas stipulé qu'il ne devait tourner qu'avec de jeunes et jolies starlettes puisqu'après Maureen O'Hara, il sera le partenaire de Jeanne Crain et Lana Turner (excusez du peu!). Je m'en voudrais de ne pas dire un mot de Natalie Wood (8 ans et déjà son cinquième film) qui en petite fille sceptique et finaude est proprement irrésistible (9 ans plus tard, ce sera une autre paire de manche). Il faut absolument la voir retrousser son petit nez en signe d'incrédulité lorsque Kris Kringle lui demande si elle croit encore au père noël.

samedi 23 avril 2011

Far From Heaven (Todd Haynes, 2002)


Cathy, desperate housewife du Connecticut vient de perdre son foulard. Elle fait le tour de la maison lorsqu'elle est surprise par son jardinier, Raymond, le foulard à la main. L'image est admirablement composée, avec cet arbre au milieu qui impose une frontière à nos deux protagonistes. Et en même temps, le foulard au premier plan, c'est la promesse d'un rapprochement, le négatif de ce tronc qui clive. La robe fauve de Cathy s'intègre à merveille dans ce décor automnal et trouve un écho sur la chemise du jardinier. Tous les éléments sont désormais en place, le (mélo)drame peut commencer.
Mes amis de gauche diront peut-être que mon goût pour les figures de sacrifice tire ses origines d'une tendance bourgeoise à la résignation, du refus de secouer l'ordre établi, bref d'une inappétence marquée pour les confrontations, quelle qu'elles soient. Je me livrais à cette réflexion à la vision des efforts désespérés de Cathy Whitaker pour maintenir la façade sociale et l'unité de la cellule familiale en dépit d'un mari "inverti" et d'une attirance pour son jardinier afro-américain. D'emblée, Cathy rejoint la galerie de mes personnages de fiction préférés aux côtés de James Stevens (
The Remains of the day), de Newland Archer (The age of innocence) et de sa quasi-jumelle, Carry Scott (All that heaven allows). Il faut dire qu'elle est magnifiée par l'éblouissant travail d' Edward Lachman, le chef-opérateur, qui utilisa pour le film les mêmes filtres que pour les mélodrames fifties de Douglas Sirk. Hommage ? Pastiche ? Film-karaoké ? Je ne sais quel terme choisir tant les références à l' oeuvre du maître de Hambourg et en particulier à Tout ce que le ciel permet abondent. Même cadre (une petite ville de nouvelle Angleterre), même nombre d'enfants, même meilleure amie à la fois compréhensive et normative, même prénom pour la pimbêche malveillante (Mona), même plan d'ouverture et de fin et bien sûr même activité professionnelle pour l'être aimé (jardinier). Et j'en oublie évidemment beaucoup. Seul le personnage de Frank, le mari homosexuel ne me semble pas faire écho à l' œuvre de Sirk (quoique Rock Hudson...) mais en 1955, le code Hays restait largement en vigueur (quoiqu'Antoninus dans Spartacus ...). Il est d'ailleurs amusant de constater que c'est lorsque Todd Haynes s'éloigne de son modèle pour adopter une approche plus réaliste qu'il intéresse le moins (le coup de fil de Cathy pour adhérer à la Naacp, Eisenhower à la télé). Mais pour l'essentiel, Haynes réussit parfaitement son pari qui est de faire non un film de plus sur les années 50 mais un véritable film des années 50 (et le choix de la partition d' Elmer Bernstein plutôt qu'un soundtrack fifties illustre bien cette volonté artistique).

dimanche 10 avril 2011

The privates lives of Elizabeth and Essex (Michael Curtiz, 1939)






De toutes les collaborations entre le Hongrois irascible et le Diable de Tasmanie, celle-ci apparaît avec le temps comme la plus difficile à encaisser. Le film souffre en effet de deux défauts rédhibitoires. D'une part, l'absence totale d'évolution des personnages entre le début et la fin du film (Elizabeth ne bouge pas d'un iota quant à sa conception du pouvoir (en gros "je suis la seule à pouvoir incarner mon pays alors que vous, bandes d'intrigants ne pensez qu'à votre pomme") et Essex veut bien épouser la reine à la seule condition d'exercer réellement le pouvoir). Ces deux-là sont de vraies têtes de mule qui préfèrent passer sur le billot plutôt que de se dédire. L'autre problème du film relève de la tromperie sur la marchandise. Sur l'affiche américaine (voir ci-dessous), on voit clairement Flynn défourailler sa rapière. Or, notre swashbuckler adoré n'utilise son épée qu'à la toute fin du film et encore, c'est uniquement pour la briser sur ses cuisses afin d'exprimer sa colère face à la félonie de la reine. Certes, on voit bien à un moment Essex guerroyer en Irlande mais Flynn, noyé sous les fumigènes (il fallait que ça suinte le marécage) est autant perdu que le spectateur. Le film se limite donc pour l'essentiel à d'interminables joutes oratoires entre la reine et son inflexible amant . Le texte est brillant mais on sent Curtiz et encore plus Flynn engoncés dans des vêtements qui ne sont pas à leur taille. Le tournage fut d'ailleurs pour l'australien une véritable torture et pas uniquement parce qu'il devait embrasser Bette Davis, Bette Davis dont le maquillage ferait passer celui de Boris Karloff dans Frankenstein pour un léger repoudrage. Non, le supplice, c'était d'apprendre des tirades toutes plus longues les unes que les autres. Et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'apprendre du texte n'a jamais été le point fort de Flynn. D'autant plus lorsqu'on a en face de soi une partenaire qui vous méprise et qui vous croit juste bon à crier "à l'abordage" sur un vaisseau pirate.
Dans My wicked, wicked ways, Flynn a des mots peu amènes sur Miss Bette Davis comme il l'appelle et donne des détails savoureux sur le tournage du film et notamment de la scène ci-dessus où Essex après avoir refusé le poste honorifique que lui confie la reine, prend congé d'elle en lui tournant le dos (ce qui est de la plus grande inconvenance). Elizabeth se lève alors de son trône et lui administre une terrible gifle. Laissons ensuite la parole au bel Errol : "She had lifted one of her hands, heavy with those Elizabethan rings, and Joe Louis himself couldn't give a right hook better than Bette hooked me with. My jaw went out. " Flynn, vert de rage, lui fait comprendre que si elle récidive pour la deuxième prise, il se fera un plaisir de lui répliquer avec la même force. Bette fit semblant de ne pas comprendre mais à la deuxième prise, Flynn écrit : " She did it in the most beautifully technical way. Her hand came just delicately to the side of my nose, missing by a fraction of an inch. I don't even believe she touched me, but I could feel the wind go by my face, and it looked technically perfect."

lundi 4 avril 2011

Corps à coeur (Paul Vecchiali, 1979)

Un électrophone dans un appartement modeste à Bicêtre. Le disque sur la platine, c'est le Requiem de Fauré par André Cluytens. La musique qui monte dans la pièce, c'est le Sanctus. Sur le plan suivant, après un léger panoramique, on voit un homme(Nicolas Silberg) , la trentaine, effondré parce que la femme qu'il aime, Jeanne (Hélène Surgère, disparue il y a une semaine) se refuse à lui. Ce qu'il y a d'incroyablement fort dans cette séquence, c'est la contradiction entre la musique qui évoque une "délivrance heureuse", un dialogue serein entre vivants et défunts et la passion aliénante que vit le garagiste pour la pharmacienne. Contradiction qui est au cœur même du projet du film; oscillant entre réalisme poétique (toutes les scènes dans la ruelle, pas mes préférées) et mélodrame flamboyant (l'escapade en Provence et la fin, où l'Amour côtoie la mort à la manière d'un opéra (admirable!)), Corps à cœur bouscule les codes du cinéma romanesque et même du cinéma tout court en multipliant les inserts (Jeanne apparaît en permanence à Pierre au point de l'aveugler) et les faux raccords (accompagnant le vertige des deux amants). Film d'amour fou, de la soif d'absolu à la déchéance, Corps à cœur est un antidote imparable aux fades histoires sentimentales qui très souvent encombrent les écrans et qui, elles, se terminent toujours bien !
Et aussi, quasi synchrone, cet avis éclairé !

vendredi 1 avril 2011

Sommaren med Monika (Ingmar Bergman, 1952)


Et si, en lui offrant sa Palme des Palmes en 1997, le jury du Festival de Cannes n'avait pas prodigué à Ingmar Bergman le fameux baiser qui tue ? Celui qui fut un des cinéastes les plus loués de son vivant par ses pairs (il me semble d'ailleurs qu'Antoine Doinel vole une photo de Monika dans Les 400 coups) n'est plus aujourd'hui qu'une référence culturelle lointaine, qu'on cite au passage mais dont on se garde bien de voir ou revoir les films, moi le premier. Il a été trop encensé , trop révéré pour ne pas encourir post mortem le purgatoire dévolu aux idoles d'hier. Le purgatoire serait mérité si son style avait irrémédiablement vieilli mais tel n'est absolument pas le cas. Du moins de Monika, le premier d'une série de Bergman que je promets de découvrir ou de redécouvrir.
Ce qui frappe le plus après tant d'années passées loin du suédois, c'est le soin extrême porté à la composition de chaque cadre même si cela frise parfois l'ostentation. On est tenté de mettre chaque plan en mode pause (d'autant que la photo de Gunnar Fischer est un régal !) et on n'est pas près d'oublier l'arrivée sur l'île de nos deux robinsons, entre rochers hospitaliers et ciels éblouissants. Mais la part la plus sidérante de son génie, Bergman l'a réservé au personnage de Monika, incarné par Harriet Anderssonn.

Tour à tour exaltée, égoïste, inconséquente, sensuelle (les justement célèbres plans dénudés sur l'ïle d'Ornö), révoltée mais plus que tout infiniment libre. Libre même d'adresser à la caméra l'un des regards les plus inoubliables de toute l'histoire du cinéma, mélange d'insolence (semblant dire au spectateur : "t'es qui, toi, pour me juger?"), de tristesse (une histoire se termine) et d'impudeur (renforcé par l'insistance du close-up).