Il est frappant de constater que le rôle qui voit Gabin
renouer avec le succès au mitan des années 50 est celui d’un truand qui veut se
ranger des bagnoles et prendre le large avec son milieu, le Milieu. Alors que « le
vieux » n’avait pas encore 50 ans, Touchez pas au grisbi
respire la lassitude, l’envie de passer à autre chose. Dès les premiers plans
au Mystific, une boîte de nuit interlope, Max, attablé avec sa régulière
et son pote Riton n’a qu’une envie, aller se pieuter. Tout le film joue
d’ailleurs de cette tension entre un « dabe » qui ne rêve que
de « paddock »(Max) et des jeunes loups extrêmement mobiles
qui veulent lui prendre son oseille et
lui buter son pote (Angelo, Ramon). Ce n’est d’ailleurs pas le seul paradoxe de
ce chef d’œuvre du «French noir» comme disent les Amerloques.
Pour un film qui voulait contribuer à démystifier la Pègre et les voyous en
décrivant leur quotidien de façon quasi-documentaire, l’effet attendu fut
l’exact inverse et par sa minutie, la justesse de ses dialogues, le Grisbi
donna une épaisseur à ses truands, une aura quasi mythologique, en tous point
comparable à celle qu’Hollywood forgea pour Dilinger, Capone ou Corleone. On
eut beau voir Max et Riton en pyjama se brosser les crocs, Max vouloir se coucher
à l’heure des caves, le film offrait à ces truands une stature rarement
égalée dans le cinéma français d’après-guerre. Les responsables sont
multiples : Becker en premier lieu qui fit appel à Gabin (même si n’était
pas son premier choix et qui était alors au creux de la vague), Pierre Montazel
dont la photographie donnait de Paris une image à la fois nocturne et très
détaillée, Marguerite Renoir dont le montage, très posé, laissait à la mise en scène le temps de donner du
relief à ses personnages et enfin Albert Simonin, dont les dialogues, à la fois
secs et fleuris, condensaient la verve incroyable de son roman (et en gommant
au passage certaines tirades un brin xénophobes).
Il y a dans Touchez pas au Grisbi une séquence qui résume toutes
les formidables qualités qu’on peut trouver au film. Après avoir échappé à une
tentative d’enlèvement, Max fait venir son pote et complice Riton dans sa turne
pour lui remonter les bretelles suite aux indiscrétions dont il s’est rendu
coupable auprès de la môme Josy concernant le magot. Les deux hommes sont
attablés autour d’un foie gars et d’une bouteille de Gros-Plant. La séquence,
tournée en temps réel, le temps que la biscotte soit avalée, voit Max faire la
leçon à Riton sur la nécessaire séparation entre les affaires de fesse et les
Affaires. La tension naît du décalage entre le partage convivial du foie gras
(un met plutôt festif) et les reproches, de moins en moins amènes, que Max
assène à Riton. Les plans rapprochés taille, majoritaires au début de la séquence
laissent progressivement la place à des plans rapprochés poitrine qui voient le
visage de Gabin s’animer de plus en plus jusqu’au fameux Climax où Max tend le
miroir à Riton pour que celui-ci prenne conscience des inévitables outrages du temps et de la nécessité de
raccrocher. Le brio dont font preuve les dialogues, la mobilité du visage de
Gabin contrastant avec les yeux de chien battu de René Dary, le jeu d’ombres
dans le dos de Max, tout contribue à faire de ce moment une pure jouissance
hédoniste, aussi brillant que la mort de François dans La vérité sur bébé Donge
ou le jeu de massacre dans le café dans La Traversée de Paris.
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