Jean Douchet déclarait récemment au micro de Frédéric
Taddei sur Europe 1 que ce qu’il retenait en priorité des années 2000, c’ était
la quasi-disparition d’un certain type de cinéma américain, celui qui n’était
taillé ni pour être un blockbuster, ni pour épater la galerie au
festival de Sundance. Un cinéma avec des moyens raisonnables destiné à un
public adulte et qui, sociologiquement, s’attachait plutôt à la classe moyenne.
Un cinéma qui nous donna Norma rae, Blue collar ou Anywhere
but here entre cent autres. Rarement le fait d’immenses cinéastes, le
regard qu’il portait sur l’Amérique nous en disait souvent plus que bien des
articles fumeux.
Urban Cowboy fait partie de ce cinéma-là.
Bud (John Travolta) tâche d’échapper à son destin de redneck
texan en allant chercher fortune à Houston. Il trouve rapidement un emploi
grâce à son oncle dans la maintenance d’installations pétrolières et le soir
venu, il dépense son maigre salaire dans un Honky Tonk réputé, Gilley’s.
Là, il fait la rencontre de Sissy et très vite la séduit (grâce à ses
incontestables talents de danseur de Texas Two-step) puis emménage avec elle.
Bud se découvre alors une passion pour le rodéo et notamment pour le taureau
mécanique, la nouvelle attraction de Gilley’s. Cette marotte devient son
obsession jusqu’à lui faire perdre le boire, le manger et même Sissy…
Comme souvent hélas, dans ce type de productions, le
scénario ne brille pas par son originalité et il ne faut pas être grand clerc
pour deviner que Sissy, un temps fasciné par les rictus «bad boy» de
Scott Glenn (magnétique mais monolithique) reviendra bien vite se carrer dans
le giron de son Valentino. Quant à la romance de Bud avec Pam, la jolie
héritière en quête de « real cowboys », sa conclusion est une
insulte à la psychologie féminine la plus élémentaire. Pourtant, avant le
retour à l’ordre et à la popote, Urban Cowboy nous aura offert,
au moins une heure durant, un joli portrait de femme libre en la personne de
Sissy. Celle-ci, inapte au ménage (« you live like pigs » lui
assène même la tante de Bud) comme à la cuisine, ne rêve que d’échapper au
destin qu’on lui a tracé. Là où il y a un obstacle, Sissy y voit un défi.
Lorsque Bud lui dit :« You gotta learn there’s certain things a
girl can’t do », Sissy lui rétorque malicieusement : « Name
one !».
Pendant que les autres filles patientent au bar, Sissy,
elle, veut braver les codes implicites du Honky Tonk. Elle s’essaie au punching
ball forain, quitte à s’y blesser et, surtout, elle désobéit à Bud en pénétrant
le territoire interdit aux femmes, ce fameux taureau mécanique qu’elle
chevauche lascivement. Il faut la voir entrer chez Gilleys dans un beau
contrejour bleu électrique et défier les hommes sur leur propre terrain pour
comprendre la portée de son audace. Son sourire lorsqu’on lui laisse enfin le
contrôle de l’engin sursautant, incontrôlable vibromasseur, ressemble sûrement
à celui que devait arborer Eve au pied de l’arbre de la connaissance. Tout en
naïve provocation.
Alors, bien sûr, le message émancipateur est
en partie neutralisé par un montage alterné pas loin d’être moralisateur (plus
Sissy s’approche du taureau, plus Bud risque la chute de son échafaudage) mais
le mal est fait et l’on n’oubliera plus le visage « affranchi » de
Sissy devant la bête acéphale. D’autant que Sissy, c’est Debra Winger, qui, unefois de plus fait de son personnage une création difficilement oubliable. Tour
à tour désinvolte, effrontée, perdue, mutine, elle est une raison à elle seule
de voir ce « Saturday Night Fever » country, aujourd’hui un
peu oublié.Papier écrit à l'origine pour le site collaboratif Abordages
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